Federico García Lorca
(1898-1936)
Discours de Federico Garcia Lorca à la population de Fuentes Vaqueros (Grenade), en septembre 1931
Le droit à la culture
"Quand quelqu'un va au théâtre, à un concert ou à une fête quelle qu'elle soit, si le spectacle lui plaît il évoque tout de suite ses proches absents et s'en désole: "Comme cela plairait à ma soeur, à mon père!" pensera-t-il et il ne profitera dès lors du spectacle qu'avec une légère mélancolie. C'est cette mélancolie que je ressens, non pour les membres de ma famille, ce qui serait mesquin, mais pour tous les êtres qui, par manque de moyens et à cause de leur propre malheur ne profitent pas du suprême bien qu'est la beauté, la beauté qui est vie, bonté, sérénité et passion.
C'est pour cela que je n'ai jamais de livres. A peine en ai-je acheté un, que je l'offre. j'en ai donné une infinité. Et c'est pour cela que c'est un honneur pour moi d'être ici, heureux d'inaugurer cette bibliothèque du peuple, la première sûrement de toute la province de Grenade.
L'homme ne vit que de pain. Moi si j'avais faim et me trouvais démuni dans la rue, je ne demanderais pas un pain mais un demi-pain et un livre. Et depuis ce lieu où nous sommes, j'attaque violemment ceux qui ne parlent que revendications économiques sans jamais parler de revendications culturelles : ce sont celles-ci que les peuples réclament à grands cris. Que tous les hommes mangent est une bonne chose, mais il faut que tous les hommes accèdent au savoir, qu'ils profitent de tous les fruits de l'esprit humain car le contraire reviendrait à les transformer en machines au service de l'état, à les transformer en esclaves d'une terrible organisation de la société.
J'ai beaucoup plus de peine pour un homme qui veut accéder au savoir et ne le peut pas que pour un homme qui a faim. Parce qu'un homme qui a faim peut calmer facilement sa faim avec un morceau de pain ou des fruits. Mais un homme qui a soif d'apprendre et n'en a pas les moyens souffre d'une terrible agonie parce que c'est de livres, de livres, de beaucoup de livres dont il a besoin, et où sont ces livres?
Des livres ! Des livres ! Voilà un mot magique qui équivaut à clamer : "Amour, amour", et que devraient demander les peuples tout comme ils demandent du pain ou désirent la pluie pour leur semis. Quand le célèbre écrivain russe Fédor Dostoïevski - père de la révolution russe bien davantage que Lénine - était prisonnier en Sibérie, retranché du monde, entre quatre murs, cerné par les plaines désolées, enneigées, il demandait secours par courrier à sa famille éloignée, ne disant que : " Envoyez-moi des livres, des livres, beaucoup de livres pour que mon âme ne meure pas! ". Il avait froid, ne demandait pas le feu, il avait une terrible soif, ne demandait pas d'eau, il demandait des livres, c'est-à-dire des horizons, c'est-à-dire des marches pour gravir la cime de l'esprit et du coeur. Parce que l'agonie physique, - biologique, naturelle d'un corps, à cause de la faim, de la soif ou du froid, dure peu, très peu, mais l'agonie de l'âme insatisfaite dure toute la vie.
Le grand Menéndez Pidal - l'un des véritables plus grands sages d'Europe - , l'a déjà dit: "La devise de la République doit être la culture". la culture, parce que ce n'est qu'à travers elle que peuvent se résoudre les problèmes auxquels se confronte aujourd'hui le peuple plein de foi mais privé de lumière. N'oubliez pas que l'origine de tout est la lumière.
Federico García Lorca
(1898-1936)
Romance somnambule Vert et je te veux vert. | Romance Sonámbulo Verde que te quiero verde. |
Verte branche vierge
de rythme et d’oiseau.
Echo de sanglot
sans douleur ni lèvres.
Homme et forêt.
Je pleure
face aux flots amers
et dans mes prunelles
il chante deux mers!
(Federico Garcia Lorca)
Cyprès
(Eau stagnante.)
Peuplier
(Eau cristalline.)
Osier
(Eau profonde.)
Coeur
(Eau de pupille.)
(Federico Garcia Lorca)
Entends, mon fils, le silence.
C’est un silence ondulé,
un silence
où glissent échos et vallées
et qui fait s’incliner les fronts
vers le sol.
(Federico Garcia Lorca)
N’emporte pas ton souvenir.
Laisse-le tout seul en mon coeur,
frisson de blanc cerisier
dans le martyre de janvier.
Un mur de songes mauvais
me sépare des trépassés.
Je donne une peine de lys
frais pour un coeur de plâtre.
Toute la nuit, dans le jardin
mes yeux, comme deux grands chiens.
Tout au long de la nuit, traquant
le coing et son venin.
Le vent, qui semble quelquefois
une tulipe de frayeur,
est une tulipe souffrante,
par une matinée d’hiver.
Un mur de songes mauvais
me sépare des trépassés.
La brume couvre, silencieuse,
la vallée grise de ton corps.
Sous l’arche de notre rencontre
la ciguë maintenant grandit.
Mais laisse-moi ton souvenir,
laisse-le tout seul en mon coeur.
(Federico Garcia Lorca)
Rien que ton coeur brûlant,
Rien d’autre.
Mon paradis: un champ
Sans rossignols
Ni lyres,
Avec une fontaine
Et un filet d’eau vive.
Pas de vent qui éperonne
Les frondaisons
Ni d’étoile qui veuille
Se faire feuille.
Un jour immense
Y serait
Le ver luisant
D’un autre jour
Dans un champ de
Regards brisés.
Lumineux repos
Où tous nos baisers,
Grains de beauté sonores
De l’écho,
Iraient là-bas éclore.
Et ton coeur brûlant,
Rien d’autre.
(Federico Garcia Lorca)
Petite fille sur la balançoire,
allant du Nord au Sud,
du Sud au Nord.
Sur la parabole
tremble une étoile rouge,
plus bas que toutes les étoiles.
(Federico Garcia Lorca)