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11 novembre 2010 4 11 /11 /novembre /2010 00:00

19 octobre 1986

 

Le 19 octobre 1986, l’avion qui ramène le président du Mozambique Samora Machel de Lusaka (Zambie) à sa capitale Maputo, est mystérieusement détourné de sa route et s’écrase sur le territoire de l’Afrique du Sud. Le discours de Sankara, ci-après, sur la mort de Samora Machel a été publié par l’hebdomadaire Carrefour africain du 31 octobre 1986.

 

Camarades militantes et militants, il ne s’agit pas aujourd’hui pour nous de pleurer mais d’avoir une attitude révolutionnaire face à cette situation tragique que provoque en nous la disparition de Samora Machel’. Nous ne devons pas pleurer pour e pas tomber dans le sentimentalisme. Le sentimentalisme ne sait pas interpréter la mort. Il se confond avec la vision messianique du monde, qui, attendant d’un seul homme la transformation de l’univers, provoque lamentation, découragement et abattement dès lors que cet homme vient à disparaître.

Il ne s’agit pas pour nous de pleurer non plus, pour ne pas nous confondre avec tous ces hypocrites, ces crocodiles et ces chiens qui ici et ailleurs font croire que la mort de Samora Machel provoque en eux la tristesse. Nous savons très bien qui est triste et qui se réjouit de la disparition de ce combattant. Nous ne voulons pas tomber dans cette compétition de cyniques qui décrètent par-ci par-là tant et tant de jours de deuil ; chacun essayant d’affirmer et d’afficher son abattement par des larmes que nous révolutionnaires devons interpréter à leur juste valeur.

Samora Machel est mort. En tant que révolutionnaires, cette mort doit nous édifier, nous fortifier en ce sens que les ennemis de notre révolution, les ennemis des peuples nous ont dévoilés une fois de plus une de leurs tactiques, un de leurs pièges. Nous avons découvert que l’ennemi sait abattre les combattants même quand ils sont dans les airs. Nous savons que l’ennemi peut profiter d’un moment d’inattention de notre part pour commettre ses odieux crimes.

De cette agression directe et barbare qui n’a pour seul but que de désorganiser la direction politique du Frelimo et de compromettre définitivement la lutte du peuple mozambicain mettant fin ainsi à l’espoir de tout un peuple, de plus d’un peuple, de tous les peuples tirons-en les leçons avec les frères mozambicains.

Nous disons à l’impérialisme et à tous nos ennemis que chaque fois qu’ils commettront de tels actes, ce sera autant d’enseignements qu’ils nous auront donnés, certes, pas gratuitement, mais d’une façon qui sera à la hauteur de ce que nous méritons. Hier les ennemis des peuples, les ennemis de la liberté des peuples avaient cru bien faire, avaient cru réussir [leur coup] en abattant lâchement, de façon barbare et par traîtrise,

Eduardo Mondlane’. Ils espéraient qu’ainsi, le drapeau de la lutte de libération tomberait dans la boue et que définitivement le peuple prendrait peur et renoncerait à la lutte.

Mais c’était compter sans cette détermination, sans cette volonté populaire de se libérer. C’était compter sans cette force spéciale qui existe chez les hommes et leur fait dire non malgré les balles et les pièges. C’était compter sans les combattants intrépides du Frelimo.

C’est dans ces conditions que Samora Machel a osé reprendre le drapeau que tenait Eduardo Mondlane dont nous gardons la mémoire. Immédiatement, Machel s’est imposé comme un leader, une force, une étoile qui guide et éclaire. Il a su faire profiter les autres de son internationalisme : il n’a pas combattu seulement au Mozambique ; mais aussi ailleurs et pour les autres.

Posons-nous la question aujourd’hui : qui a tué Samora Machel ? On nous parle d’enquêtes qui se mènent, d’experts qui se réuniront pour déterminer la cause de la mort de Machel. Déjà, l’Afrique du Sud, aidée par les radios impérialistes, essaie de faire passer la thèse de l’accident. On nous fait croire que des éclairs se seraient abattus sur l’avion. On nous fait croire qu’une erreur de pilotage aurait conduit l’avion là où il ne fallait pas.

Sans être pilotes ou experts en aéronautique, il y a une question que nous pouvons nous poser en toute logique : « Comment un avion volant à une si haute altitude a pu brusquement raser les arbres et se renverser, c’est-à-dire venir à moins de 200 mètres du sol ? »

On nous dit que le nombre de survivants est une preuve qu’il s’agit d’un accident et non d’un attentat. Mais, camarades, comment des passagers d’un avion, brutalement réveillés par le choc, peuvent-ils dire comment et pourquoi leur avion s’est renversé et s’est écrasé ?

Pour nous il s’agit purement et simplement de la continuation de la politique raciste des Blancs d’Afrique du Sud ; il s’agit d’une autre manifestation de l’impérialisme. Pour savoir qui a tué Samora Machel, demandons-nous qui se réjouit et qui a intérêt à ce que Machel ait été tué ? Nous trouvons côte à côte, main dans la main, d’abord les Blancs racistes d’Afrique du Sud que nous n’avons cessé de dénoncer. Nous trouvons à leurs côtés ces marionnettes, ces bandits armés du MNR, dit Mouvement national de résistance (Renamo). Résistance à quoi ? A la libération du peuple mozambicain, à la marche pour la liberté du peuple mozambicain et d’ailleurs, et à l’aide internationaliste que le Mozambique à travers le Frelimo apportait aux autres peuples.

Nous trouvons également les Jonas Savimbi’. Il doit se rendre en Europe. Nous avons protesté contre cela. Nous avons dit aux Européens, en particulier à la France que si elle a établi un visa d’entrée pour lutter contre le terrorisme, si elle recherche les terroristes, elle en a trouvé un : Jonas Savimbi. A leurs côtés nous trouvons les traîtres africains qui font transiter par chez eux des armes contre les peuples africains’. Enfin nous trouvons ces éléments qui crient ça et là paix mais déploient chaque jour leur intelligence, leurs énergies pour aider et soutenir les traîtres à la cause africaine.

Ce sont eux qui ont assassiné Samora Machel. Hélas, pour n’avoir pas apporté le soutien nécessaire à Samora Machel,nous autres Africains l’avons aussi livré à ses ennemis. En effet, lorsque, répondant à l’appel de l’Organisation de l’unité africaine, le Mozambique a rompu définitivement ses relations avec l’Afrique du Sud, qui au niveau de l’OUA l’a soutenu ? Pourtant le Mozambique, lié économiquement à l’Afrique du Sud connaissait d’énormes difficultés. Les Mozambicains ont lutté et résisté seuls contre l’Afrique du Sud. C’est pourquoi nous Africains au sein de l’OUA portons une lourde responsabilité dans la disparition de Samora Machel.

Les discours d’aujourd’hui ne seront jamais rien tant que nous n’essaierons pas dans le futur d’être plus conséquents dans nos résolutions. A Harare [au huitième Sommet du Mouvem t des pays non-alignés], le Burkina Faso a soutenu la même position. Il ne s’agit pas d’applaudir Robert Mugabe, de le présenter comme un ’gne fils du Non-alignement si quelques heures après notre départ, Afrique du Sud se mettant à bombarder le Zimbabwe, chacun de nous resterait douillettement dans sa capitale, se contentant d’envoyer des messages de soutien. Certains États nous avaient applaudi, d’autres avaient trouvé que nous allions trop loin. Aujourd’hui l’histoire nous donne raison : Quelque temps après le sommet des Non-alignés, l’Afrique du Sud a fait son sale boulot ; et nous voilà seulement dans des condamnations verbales.

C’est l’impérialisme qui organise, qui orchestre tous ces malheurs ; c’est lui qui a équipé et formé les racistes ; c’est lui qui leur a vendu des radars et des avions de chasse pour surveiller et abattre l’avion de Samora Machel. C’est également lui qui a mis des fantoches en Afrique pour lui communiquer des informations sur l’heure du décollage de l’avion et l’heure de son passage dans la zone. Et c’est encore lui qui essaie de tirer profit de la situation et qui déjà cherche à savoir qui va succéder à Samora Machel. C’est enfin lui qu’essaie de diviser les combattants mozambicains en les classant en modérés et en extrémistes.

Samora Machel était un grand ami de notre révolution, un grand soutien de notre révolution. Il le disait partout et le montrait dans ses attitudes vis-à-vis des délégations burkinabè. Nous avons été en contact avec lui pour la première fois à travers ses écrits sur la révolution. Nous avons lu et étudié les ouvrages de Machel et nous avons communié intellectuellement avec lui. La deuxième fois que nous l’avons connu, c’était à New-Delhi au sommet des Non-alignés. Il disait qu’il suivait la situation dans notre pays, mais était inquiet à cause de la volonté de domination de l’impérialisme.

Par la suite nous l’avons rencontré à Addis-Abeba deux fois. Nous avons discuté. Nous avons admiré cet homme qui n’a jamais baissé la tête, même après les accords de Nkomati dont il comprenait la portée tactique et que certains éléments opportunistes ont essayé d’exploiter contre lui en le faisant passer pour un lâche. La délégation burkinabè avait alors pris la parole pour dire que ceux qui attaquaient le Mozambique n’avaient pas droit à la parole tant qu’ils n’avaient pas pris les armes pour aller combattre en Afrique du Sud.

Nous l’avions beaucoup soutenu, mais il nous soutenait également. Au dernier sommet de l’OUA, lorsque la position burkinabè avait été attaquée par certains États, Machel avait pris la parole et dit que « s’ils n’avaient pas la reconnaissance et le courage d’applaudir le Burkina Faso, ils devaient au moins avoir honte et se taire ».

Nous nous sommes encore retrouvés chez lui à Maputo. Il nous a beaucoup aidé à comprendre la situation intérieure et extérieure extrêmement difficile dans laquelle il se trouvait. Tout le monde sait le rôle joué par Samora Machel au sein des pays de la Ligne de front.

Enfin nous l’avons retrouvé à Harare au dernier sommet des Non-alignés où nous avons eu de nombreuses conversations. Samora Machel se savait une cible de l’impérialisme. Il avait par ailleurs pris l’engagement de venir au Burkina Faso en 1987. Nous avions convenu d’échanger des délégations au niveau de nos CDR, de l’armée, de nos ministres, etc.

Tout cela doit nous servir de leçons. Nous devons nous tenir solidement, main dans la main avec les autres révolutionnaires parce que d’autres complots nous guettent, d’autres crimes sont en train d’être préparés.

Camarades, je voudrais vous inviter tous à accompagner de vos voeux la médaille, la distinction honorifique que nous conduirons au Mozambique pour décorer Samora Machel. Nous lui enverrons la plus haute distinction du Burkina Faso, de notre révolution ; parce que nous estimons que son oeuvre a contribué et contribue à l’avancée de notre révolution. Il mérite donc que nous lui décernions l’Étoile d’or du Nahouri.

En même temps je vous invite sur toute l’étendue de notre territoire à baptiser des carrefours, des immeubles, etc., du nom de Samora Machel parce qu’il l’aura mérité. Il faut que la postérité se souvienne de cet homme, de tout ce qu’il a fait pour son peuple et pour les autres peuples. Ainsi nous aurons matérialisé chez nous cette mémoire pour que d’autres hommes s’en souviennent éternellement.

Camarades, nous nous sommes réunis aujourd’hui pour réfléchir sur la disparition de Samora Machel ; demain il faudra avancer, il faudra vaincre.

La patrie ou la mort, nous vaincrons !

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