Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
29 octobre 2010 5 29 /10 /octobre /2010 20:56

L’enfant qui devint insurgé

Combattant de la Commune, journaliste, polémiste engagé aux côtés des plus faibles, Jules Vallès reste avant tout un écrivain qui mérite d’être redécouvert. L’occasion en est offerte par la parution en un volume de la trilogie de Jacques Vingtras («L’enfant», «Le bachelier», «L’insurgé»).


Jules Vallès, par Gustave Courbet, son ami et compagnon de lutte lors de la Commune

 

De la trilogie de Jacques Vingtras, nom du narrateur qui ressemble tant à l’auteur, on ne lit plus guère que L’enfant. Et encore: il se voit souvent considéré comme exemple de roman autobiographique ou social et classé dans la littérature pour la jeunesse, entre Sans famille et Poil de carotte. La réédition en un volume de L’enfant, Le bachelier et L’insurgé (aux Editions Omnibus) donne l’occasion de lever le malentendu. Jules Vallès (1832-1885) est un écrivain à redécouvrir, qui a mis sa plume incisive et étonnamment moderne au service de sa révolte.
«Ai-je été nourri par ma mère? Est-ce une paysanne qui m’a donné son lait? Je n’en sais rien. Quel que soit le sein que j’ai mordu, je ne me rappelle pas une caresse du temps où j’étais tout petit; je n’ai pas été dorloté, tapoté, baisoté; j’ai été beaucoup fouetté.» Dès le début de L’enfant, le ton est donné. Il sera cruel et réaliste, douloureusement ironique: «Ma mère dit qu’il ne faut pas gâter les enfants, et elle me fouette tous les matins; quand elle n’a pas le temps le matin, c’est pour midi, rarement plus tard que quatre heures.»

Pour la justice
Ce Jacques Vingtras maltraité, c’est en grande partie Vallès lui-même, né en 1832 au Puy (Haute-Loire). Dans cette triste enfance se trouvent sans doute les racines de ses luttes pour la justice, de son engagement aux côtés de leaders socialistes et, surtout, aux côtés du peuple.
Ses combats, Vallès les a menés dans son œuvre d’écrivain et de polémiste, dans son travail de journaliste (notamment dans les publications qu’il a fondées, en particulier, Le cri du peuple, dès février 1871) ou au sein de la Commune de Paris. Après la «semaine sanglante» de mai 1871, Vallès devra d’ailleurs se réfugier en Belgique, puis en Suisse et à Londres. Condamné à mort par contumace, en 1872, il rentre à Paris en 1880, après l’amnistie.
C’est durant cette période d’exil que Jules Vallès écrit sa trilogie. L’enfant paraît en 1878, en feuilleton et sous pseudonyme. Le bachelier suivra en 1879, d’abord sous le titre Mémoires d’un révolté puis sous celui de Jacques Vingtras II. L’enfant a grandi, il se trouve à Paris, entre vie de bohème, difficultés financières et discussions politiques, dans une société qui va être bouleversée par le coup d’Etat de Louis Napoléon Bonaparte.

Commune de l’intérieur
Ces années de formation amènent Vingtras à devenir L’insurgé. Ce troisième épisode paraît de manière posthume, en 1886. Vingtras vit toujours dans la pauvreté, essaie de placer des articles dans des journaux et revues, fonde sa propre publication, La Rue, qui sera condamnée.
Plus tard, ce pacifiste s’engage dans la Commune et les combats de la «semaine sanglante» (21-27 mai 1871), racontés avec minutie: L’insurgé est le grand livre de la Commune, vécue de l’intérieur. Il mêle roman et histoire, description journalistique et engagement passionné aux côtés des petites gens, des ouvriers. Vallès y a d’ailleurs inclu des articles rédigés à chaud, parus dans Le Cri du peuple.
Dans la brève préface qui accompagne cette réédition, Michel Ragon écrit à propos de Vallès: «Son style même, si étrange pour ses contemporains, sera mieux perçu par les lecteurs de Louis-Ferdinand Céline que par ceux du si fidèle Hector Malot.» Vrai que, comme pour tous les grands écrivains, la principale force de Vallès ne se situe pas dans ce qu’il raconte, mais dans la manière de raconter.
Dans L’enfant, par exemple, il préfère des flashs, des anecdotes souvent drôles à une narration classique. Et recourt volontiers à des métaphores surprenantes, comme pour ce professeur de philosophie: «Petit, fluet, une tête comme le poing, trois cheveux et un filet de vinaigre dans la voix.» Nul besoin de plus longue description pour sentir le pénible personnage.

Vallès célinien
Michel Ragon a raison de comparer Vallès à Céline, même si la trilogie de Jacques Vingtras n’a pas eu l’impact du Voyage au bout de la nuit. Dans L’insurgé, notamment, le style se hache, comme marqué par le chaos révolutionnaire et certaines phrases apparaissent céliniennes avant Céline: «Il est devenu la béquille de Gustave Planche; claqué aussi le père Planche!» ou «Danton, avant d’éternuer dans le son, déclara qu’il ne regrettait pas la vie, ayant bien coiffé avec les buveurs, bien riboté avec les filles; et il fait le soiffeur, le riboteur, le Gargantua, le Roquelaure!»
Malgré l’importance des messages qu’il veut faire passer, Vallès ne semble jamais oublier que c’est dans le langage que se joue la littérature. Et c’est ce qui lui permet de rester actuel, avec des romans très ancrés dans leur époque et dans l’histoire personnelle de l’auteur. Ici, engagement et style se rejoignent, jusqu’aux admirables dernières lignes de L’insurgé: «Ils ne m’auront pas! Et je pourrai être avec le peuple encore, si le peuple est rejeté dans la rue et acculé dans la bataille. Je regarde le ciel du côté où je sens Paris. Il est d’un bleu cru, avec des nuées rouges. On dirait une grande blouse inondée de sang.»

Jules Vallès, L’enfant, Le bachelier, L’insurgé, Omnibus

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : "LE CRI DU PEUPLE" : Stéphane Parédé : "L'AVOCAT DES PAUVRES ET DES OPPRIME-E-S"
  • Contact

Recherche

Liens