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23 janvier 2011 7 23 /01 /janvier /2011 20:04

 

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Patrice Emery Lumumba : "  Vertu Justice, Egalité "

 

Lumumba, qui a arraché l'indépendance mais qui n'est resté que deux mois et demi à la tête du Congo, est devenu un grand révolutionnaire, le héros national du peuple congolais. Pourquoi lui? Parce qu'il a été le premier à comprendre que la seule force capable de réaliser l'indépendance totale était celle de la grande masse des exploités et des opprimés.Né le 2 juillet 1925 à l'intérieur du pays, à Katako-Kombé, il a aussi vécu à Kisangani et Kinshasa : il connaissait bien les masses de son peuple. L'histoire de la lutte héroïque menée par Lumumba est très peu connue par la jeunesse congolaise. Et pour cause: Mobutu, qui a régné sur le Congo à partir du 14 septembre 1960, a été le principal responsable de l'assassinat de celui qui a été le véritable Père de la Nation congolaise. Nous retraçons ici l'histoire de Lumumba depuis le 10 octobre 1958, date de la fondation du Mouvement National Congolais, jusqu'au 17 janvier 1961, date de son assassinat au Katanga. Nous publions aussi les textes essentiels produits par Patrice-Emery Lumumba.En suivant l'histoire de Lumumba et en lisant ses déclarations politiques, le lecteur méditera sans doute souvent sur la situation politique actuelle. Laurent-Désiré Kabila est non seulement le continuateur de l'oeuvre de Lumumba, il bravait déjà la mort en luttant pour la cause lumumbiste au cours de cette année cruciale 1960. Aujourd'hui, les ennemis de Lumumba sont toujours là et ils s'attaquent à Kabila avec des tactiques qui ne sont guère différentes de celles qu'ils utilisaient dans les mois qui ont suivi l'indépendances.

 

La colonie, une prison pour les Congolais

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Après la période de terreur et de destructions qui a caractérisé le mobutisme, certains présentent la colonisation belge comme une " période díor ". A tort. Le Congo a été conquis par Léopold II par le feu et le sang. Le pouvoir colonial fut un pouvoir absolu et tyrannique, basé sur la violence et les armes. Les travailleurs étaient exploités au maximum pour que les entreprises capitalistes coloniales fassent des bénéfices fabuleux.

 

La conquête: "Pas de prisonniers, que des morts"

De 1887 à 1893, Isidore Tobback était le principal représentant de l'Etat du Congo au Bas-Congo. Voici ce quíil dit dans une lettre: "Mars 1888. Pendant un mois, j'ai marché et combattu avec cinquante hommes, jour et nuit. Les villages conquis ont été pillés et entièrement anéantis. Il me suffit de raconter l'assaut et la prise d'un seul village pour les avoir racontés tous. Je vais donc vous raconter la prise du village de Kimbanza. Une salve collective de mon second groupe sème la peur et la mort dans les rangs des indigènes qui jettent leurs armes pour fuir plus vite et plus sûrement, car ils savent que je fais fusiller tous ceux qui ont les armes à la main. Trois prisonniers portaient des armes lorsquíils ont été arrêtés. Cinq minutes plus tard, ils ont été abattus de douze balles. Tous les vivres, les légumes, les poulets, les chèvres ont été emportés et nous avons quitté le village dans la lueur des huttes en feu. Ainsi le veut la guerre africaine." ... "26 avril 1891. J'ai dû affronter les indigènes dans les environs de l'embouchure du Lomani. ... J'ai tué quatre-vingts personnes et fait autant de blessés. Pas de quartier, donc pas de prisonniers."

 

(Extrait traduit de "E.D. Morel tegen Leopold II en de Kongostaat, A.M. Delathuye", EPO, 1985, p.11)

 

Une dictature personnelle

Léopold II, roi des Belges et roi de l'Etat indépendant du Congo, écrit le 3 juin 1906: "Le Congo a été et n'a pu être qu'une oeuvre personnelle. Or, il n'est pas de droit plus légitime que le droit de l'auteur sur sa propre oeuvre, fruit de son labeur. Mes droits sur le Congo sont sans partage, ils sont le produit de mes peines et de mes dépenses. Le mode d'exercice de la puissance publique au Congo ne peut relever que de l'auteur de l'Etat. C'est lui qui dispose légalement, souverainement, et qui doit forcément continuer à disposer seul, dans l'intérêt de la Belgique, de tout ce qu'il a créé au Congo." Mobutu n'a fait qu'imiter la dictature personnelle de Léopold II, roi des Belges.

 

Exploités à outrance

La force de travail des Noirs a été mise à la disposition des grandes sociétés par la violence et la contrainte exercées par líEtat colonial. La Compagnie du Katanga a reçu la pleine propriété díun territoire díune superficie six fois supérieure à celle de la Belgique. Le roi Léopold II et une poignée de grands capitalistes fondent en 1900 le Comité Spécial du Katanga (CSK) qui obtient le droit díadministrer la plus grande partie du Katanga, díy percevoir líimpôt et díy organiser un corps de police.

 

Ce CSK devient le principal actionnaire de líUnion Minière en 1906. Cette société est devenue une des plus importantes sociétés capitalistes de Belgique. En 1924, le vice-gouverneur Moulaert, évalue le coût annuel díun travailleur de líUnion Minière entre 8.000 et 9.000 francs, alors quíil en rapporte 50.000. Quand le capitaliste paie un franc à líouvrier qui est durement exploité, le capitaliste empoche 6 francs sans rien faire.

 

Dans la colonie, 25.000 salariés blancs gagnent autant que 1.200.000 salariés noirs.

 

En septembre 1925, un administrateur territorial du Kwilu écrit: ëLes administrateurs territoriaux savent à quel point les exactions se font chaque jour plus nombreuses et ne laissent aux populations ni répit, ni liberté. Peut-être peut-on pardonner au fonctionnaire de se sentir envahi díamertume parce que les villages se vident à son approche comme à líarrivée díun marchand díesclaves.í Lors de la répression de la révolte populaire entre le Kwilu et le Lutshima en 1931, 4.000 villageois ont été massacrés. Chargé díenquêter sur les causes de la révolte, le fonctionnaire Jungers écrit: ëOn peut dire que la quasi-totalité des coupeurs de fruits sont partis pour Leverville contraints et forcés, soit par leurs chefs médaillés soit directement par les fonctionnaires et agents du service territorial. Comment en serait-il autrement? Il níest pas un colon qui admettra les que indigènes, alors que fort peu de choses leur manquent dans leur village, aillent travailler à cinq ou six jours de marche du village, en abandonnant pour six mois leurs femmes et leurs enfants, pour aller vivre dans des conditions qui sont abominables.í LíUnion Minière a été fondée en 1906 avec 10 millions de francs belges. Entre 1950 et 1959, elle réalise un bénéfice net de 31 milliard de francs. En 1959 elle domine le Katanga dont elle organisera la sécession en 1960.

 

La doctrine catholique: l'arme idéologique du colonialisme

Un des pionniers de la conquête militaire du Congo, le commandant Michaux, déclare en 1910: "Les missionnaires sont les éducateurs naturels des sauvages. Les missionnaires seuls feront que notre colonie deviendra un jour le prolongement de la Mère Patrie." (1)

 

Le président de la CSC, le syndicat chrétien belge, Henri Pauwels explique en 1949 la doctrine catholique de la colonisation aux ouvriers. Voici ce texte officiel."Nous parlons d'abord des fondements généraux du droit à la colonisation. La première donnée est la conquête. En général, les indigènes ont été privés de leurs droits par la volonté unilatérale de la puissance colonisatrice. Voyons les raisons qui ont été invoquées pour justifier de telles expropriations. Il y a notamment les actes de violence commis par les indigènes contre ceux qui voulaient s' établir dans leur pays; leurs crimes contre la nature; leur opposition à la prédiction de l'Evangile. Toutes ces raisons sont essentiellement bonnes pour justifier l'intervention armée des pays qui se sentent lésés dans leurs droits ou qui se présentent comme les défenseurs du droit naturel et divin. L'humanité ne peut pas tolérer que, par ignorance, par paresse ou par négligence, les richesses naturelles que Dieu a offertes au monde pour satisfaire les besoins humains, restent en friche. Lorsque des territoires sont mal gérés par leurs propriétaires légitimes, les autres pays, qui sont lésés de ce fait, ont le droit de prendre la place des mauvais gestionnaires et d'exploiter ces biens. Il est légitime que les peuples à coloniser soient obligés, sous la contrainte si nécessaire, à collaborer à l'|uvre civilisatrice dont ils seront bénéficiaires. L'|uvre éducatrice qui incombe à la nation colonisatrice est très lourde et coûteuse. Aucune nation ne voudrait en assumer la charge si elle n'y trouvait pas son profit. Le fait de demander une rémunération équitable pour les prestations accomplies dans le cadre de l'|uvre colonisatrice est logique. Qu'en est-il des peuples colonisés qui, grâce à la tutelle dont ils ont pu bénéficier, ont acquis la capacité de se gouverner eux-mêmes? Peuvent-ils revendiquer leur indépendance? Un véritable contrat a été conclu entre la mère patrie et la colonie. Il serait injuste que l'une des parties soit privée des fruits légitimes d'une |uvre civilisatrice de longue haleine. La prise de conscience nationale d'un peuple soumis va, en effet, de pair avec des aspirations séparatistes. La mère patrie doit donc veiller à désamorcer ces aspirations en faisant en temps voulu les concessions nécessaires." (2) Voilà en quels termes l'Eglise catholique, qui avait justifié pendant trois siècles la traite des Nègres, a justifié la domination coloniale.

1)Pourquoi et comment nous devons coloniser, Michaux, Bruxelles, 1910, pp. 196-197; 2) "Le syndicalisme et la colonie" par Henri Pauwels, cité dans L'argent du PSC-CVP, Ludo Martens, EPO, pp. 91-94.

 

L'Histoire d'une vie exemplaire (I)

L'apprentissage d'un nationaliste révolutionnaire

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La force motrice de la lutte pour l'indépendance du Congo a été constituée par les travailleurs et les chômeurs des villes et les paysans des villages. Ceux-ci avaient porté tout le poids de l'oppression et de l'exploitation coloniales. A la fin des années cinquante, ils exigent un changement radical. Ils sont sensibilisés par le courant anticolonialiste qui déferle sur l'Afrique depuis la libération de la Chine en 1949 et depuis le début de la guerre d'indépendance en Algérie.

 

A cette époque, les dirigeants congolais modernes, les " évolués ", sont presque tous conciliants envers les colons. Lumumba lui-même écrit encore en 1956 :

" Le désir essentiel de l'élite congolaise est d'être des 'Belges' et d'avoir droit à la même aisance et aux mêmes droits ".(1) En 1956 toujours, Ileo et Ngalula publient le " Manifeste de la Conscience Africaine ". Ces deux hommes sont très liés à l'Eglise catholique qui fut la première institution coloniale à préparer le passage au néocolonialisme. La Belgique commence à comprendre que pour maintenir sa domination économique et politique sur le Congo, il faut désormais s'appuyer sur des Congolais dévoués aux intérêts belges. Le Manifeste dit : " Notre volonté est que l'émancipation du Congo se réalise dans l'ordre et la tranquillité. Les Européens doivent bien comprendre que notre désir légitime d'émancipation n'est pas dirigé contre eux. Nous prévoyons de créer une organisation qui se fera en pleine légalité et en se conformant aux lois ".(2)

Le 10 octobre 1958, Iléo, Ngalula, Adoula et Lumumba fondent le Mouvement National Congolais. C'est un parti qui se veut loyal vis-à-vis de la Belgique et regroupe des Congolais proches des courants catholique, libéral et social-démocrate belges.

 

La naissance d'un révolutionnaire 

Du 5 au 13 décembre 1958, a lieu à Accra, capitale du Ghana, une Conférence Panafricaine historique. Le Ghana, sous la direction de Kwame Nkrumah, a été le premier pays d'Afrique noire à briser les chaînes du colonialisme. C'était le 6 mars 1957. A Accra, Lumumba rencontre les dirigeants africains les plus expérimentés et les plus radicaux dont Nkrumah qui deviendra son père spirituel. Lumumba déclare à Accra : " Malgré les frontières qui nous séparent, nous avons la même conscience, les mêmes soucis de faire de ce continent africain un continent libre, heureux, dégagé de toute domination colonialiste. Nous sommes heureux de constater que cette conférence s'est fixé comme objectif: la lutte contre tous les facteurs internes et externes qui constituent un obstacle à l'émancipation de nos pays et à l'unification de l'Afrique. Parmi ces facteurs, on trouve le colonialisme, l'impérialisme, le tribalisme et le séparatisme religieux qui, tous, constituent une entrave sérieuse à l'éclosion d'une société africaine harmonieuse et fraternelle. "(3) A Accra, Lumumba a cessé d'être un " évolué " pour devenir un nationaliste africain radical.

Le 28 décembre 58, Lumumba tient son premier meeting politique sur la place de la Victoire à Matonge, Kinshasa, devant plus de 10.000 personnes. C'est la première fois que Lumumba sent l'énergie bouillante de la masse et qu'il comprend que seule la masse constitue une force capable de réaliser les idéaux d'une indépendance totale. Mais ses compagnons, Iléo, Adoula, Kalonji et Ngalula, ne l'entendent pas de cette oreille. Ils estiment que Lumumba est devenu un "démagogue dangereux" Peu après ce meeting, Lumumba leur dit : " Vous êtes tous endormis. Vous pensez que l'indépendance vous sera offerte sur un plateau d'argent, mais il faudra lutter pour l'obtenir et je suis décidé à me battre pour arracher notre indépendance." (4)

 

Les massacres du 4-5 janvier 1959 

Le 4 janvier, l'ABAKO de Kasavubu annonce un meeting place de la Victoire. Il faut absolument dépasser le succès que Lumumba a obtenu, une semaine auparavant. L'ABAKO considère Lumumba comme un " étranger " dans la province du Congo Central !

L'ABAKO était le parti tribaliste des Bakongo et avait l'avantage d'opérer dans la partie la plus développée et la plus connue du Congo: la capitale et ses environs. Les masses du Bas-Congo et de Kinshasa étaient très révoltées contre la domination coloniale. Mais l'ABAKO détournait cette révolte vers des objectifs tribaux.

Or le meeting est interdit par l'administration et l'affaire tourne à l'insurrection. La Force Publique massacre 300 Congolais, surtout des travailleurs, des chômeurs et des " irréguliers ", venus à Kinshasa sans autorisation. Des dizaines de milliers de Congolais ont pris part aux " émeutes ", c'est-à-dire au combat ouvert pour l'indépendance. Le colonisateur expulse alors des milliers d'irréguliers vers leur village d'origine. Là-bas, ces jeunes révoltés racontent comment la masse a osé attaquer les colonialistes. Dans tous les villages du Bas-Congo, du Kwilu et du Kwango, les masses commencent à se soulever, à l'exemple des héroïques combattants du 4 janvier.

Suite aux " émeutes " du 4 janvier, Kasavubu est arrêté et emprisonné.

Mais le gouvernement belge, effrayé devant la lutte révolutionnaire, décide très vite de changer de tactique. Connaissant la faiblesse des partis nationalistes, l'administration coloniale les prend de court en accordant l'indépendance dans un bref délai. Ainsi, la Belgique veut s'assurer que le Congo " indépendant " soit gouverné par ses amis et ses fidèles. Le 13 janvier 1959, le roi Baudouin déclare : "Notre résolution est aujourd'hui de conduire les populations congolaises à l'indépendance."

Le 13 mars, le ministre Van Hemelryck fait libérer Kasavubu et l'envoie en Belgique. Van Hemelrijck affirme que Kasavubu s'est rallié à la nouvelle politique définie le 13 janvier. Kasavubu déclare : "Nous demandons au peuple congolais de rester calme, d'oublier le passé et de préparer l'avenir dans l'esprit de la nouvelle politique qui conduit le Congo à l'indépendance." (5)

L'administration coloniale était déjà arrivée à la conclusion que l'ABAKO, parti tribaliste et séparatiste, pouvait être " apprivoisé ". Le 21 avril, face au radicalisme des masses qui balaie toutes les institutions coloniales, l'administrateur Saintraint indique une nouvelle piste : "La situation générale est critique et, sous certains aspects, dramatique. L'Administration, rejetée, n'a plus les moyens de diriger le pays ni d'y maintenir l'ordre. L'ABAKO a un plan détaillé de mise en place d'une nouvelle administration. Il vaut mieux qu'elle procède très rapidement à ce remplacement." (6)

Poussé par son esprit tribaliste, l'ABAKO tourne le dos à la lutte anticolonialiste pour s'orienter vers la lutte pour "l'indépendance" de sa province. Le 21 juin 1959, Kasavubu exige " la création d'un Etat autonome, la République du Congo Central, dont le président sera élu par les originaires de cette République ". (7) Ainsi, les nombreux Congolais nés dans les autres provinces seront des " étrangers " dans la capitale de leur pays.

 

" Une période pré-révolutionnaire " 

Le 1er juillet 1959, Lumumba tient un meeting devant 1.500 personnes. Il entame son discours en demandant " cinq minutes de silence à la mémoire des Congolais victimes du colonialisme tombés le 4 janvier ".

" C'est de la provocation ! " clame un haut fonctionnaire belge. " Cet homme est un démagogue dangereux ", disent, le 17 juillet 1959, Iléo, Ngalula, Adoula, et Kalonji, les chefs " respectables " du MNC. (8) Ils excluent Lumumba du MNCS sur quoi Lumumba exclut tous ces " évolués " favorables au maintien de la domination extérieure. C'est la première scission dans les rangs des " évolués " nationalistes : les lumumbistes veulent une indépendance totale s'appuyant sur les masses, les opportunistes veulent " réformer " le système économique et politique colonial.

Après la scission, Victor Nendaka est nommé vice-président du MNC-Lumumba, Jean-Pierre Finant devient la troisième personnalité du parti et un certain Joseph Mobutu se lie d'amitié avec LumumbaS

En fait, les " émeutes " du 4 janvier ont éveillé les masses sur l'ensemble du territoire congolais. Pendant toute l'année 1959, des campagnes de désobéissance aux autorités coloniales se développent. Il y a de fréquentes confrontations entre les forces de l'ordre et la population qui refuse de payer les impôts. Le sang coule à Matadi, Mbanza Ngungu, Luozi, Lukula, Jadotville. En août 59, le vice-gouverneur général Schöller parle de " la masse fanatisée " qui est en " état de rébellion ouverte ". (9) " Dans le Bas- et Moyen-Congo, on se trouve en période pré-révolutionnaire. Nous risquons d'être entraînés dans une guerre de type Algérie." (10)

Les masses, qui exigent l'indépendance totale et un changement radical de leur situation, poussent une partie des " évolués " à gauche. Ils se regroupent essentiellement dans le MNC Lumumba et dans le Parti Solidaire Africain de Mulele et Gizenga. Ils comprennent que l'essence du colonialisme est la domination économique et qu'à la base des malheurs du Congo se trouve la soif du profit des grands capitalistes.

 

Le " Parti des Nègres Payés "

Dans l'autre camp, l'administration coloniale met désormais tout en oeuvre pour créer et soutenir des partis prêts à accepter une indépendance de pure forme. Il y a le Parti National du Progrès, le PNP de Bolya, Dericoyard et Delvaux; le Mouvement National Congolais-K, le MNC-K de Kalonji et Iléo; la Confédération des Associations tribales du Katanga, la CONACAT de Tshombé et Munongo; le Parti de l'Unité Nationale, le PUNA de Bolikango ; l'Association des Bakongo, l'ABAKO de Kasavubu et Kisolokela et l'Union des Mongo, l'UNIMO, de Bomboko.

En fait, la majeure partie des " évolués " commencent à craindre le radicalisme des masses: ils veulent " vivre comme les Blancs " et comptent y arriver en laissant intactes les structures économiques du régime colonial.

Le ministre Ganshof Van der Meersch déclarera plus tard : " L'administration fondait sur le PNP de grands espoirs. Mais le MNC-L disposait, en la personne de Lumumba, d'un atout supérieur à celui du PNP. Lumumba était seul à faire preuve de dynamisme ". (11)

 

Colonialisme et " élections libres "

Fin 1959, la Belgique veut toujours déterminer unilatéralement les conditions de l'indépendance pour que rien de fondamental ne change. Elle rejette la revendication des partis nationalistes d'une Conférence où les modalités de l'indépendance immédiate seraient fixées de commun accord entre les parties belge et congolaise. Et la Belgique pense que des "élections libres" peuvent donner une légitimation à ses complots néocoloniaux.

Le 7 octobre 1959, l'administration coloniale annonce la tenue d'élections communales en décembre. Elle croit qu'à ce niveau, les forces pro-colonialistes, et notamment les chefs coutumiers, gagneront les élections.

Au congrès du MNC-L, tenu du 23 au 29 octobre 1959, Lumumba demande l'indépendance immédiate et décide de boycotter les élections. Lorsque l'administration veut arrêter Lumumba, des affrontements entre les masses nationalistes et la gendarmerie font 20 morts. Le gouverneur de Kisangani, M. Leroy déclare : "Lumumba a provoqué des émeutes pour empêcher les élections. Il a reçu d'un étranger des leçons de technique révolutionnaire." (12) Lumumba est emprisonné le 31 octobre.

Lumumba, vainqueur inattendu des élections

Dans un climat social qui se dégrade très vite, une Table ronde est organisée à Bruxelles du 20 janvier au 20 février 1960. Sous la pression des délégués congolais, la Belgique doit libérer Lumumba qui arrive à la Table ronde pour y faire un triomphe. La date de l'indépendance est fixée au 30 juin.

Les élections nationales ont lieu le 22 mai 1960. La Belgique est convaincue que la victoire des partis pro-impérialistes est assurée grâce au soutien de l'Etat colonial, à l'aide financière des grandes entreprises belges, et grâce à l'appui de la puissante Eglise catholique.

Et pourtant, le PNP, le " Parti des Nègres Payés ", comme on dit à l'époque, perd les élections, malgré les moyens formidables mis à sa disposition, malgré la campagne virulente de l'Eglise catholique contre les nationalistes.

Les nationalistes s'imposent haut la main. Le MNC-L obtient 35 sièges à la Chambre et le PSA, avec 13 sièges, devient le principal parti de la Province de Léopoldville (Congo Central, Kwilu, Kwango et Lac Mai Ndombe). Personne ne s'attendait à ce que l'ABAKO, parti renommé à Kinshasa, puisse être battu dans " sa " province par le PSA, le parti nationaliste le plus radical. Le CEREA de Kashamura, avec 10 sièges, et le Balubakat de Sendwe, avec 7, rejoignent la coalition MNC-L et PSA.

 

Le dernier complot du colonisateur

Après les élections, la puissance colonisatrice continue à comploter contre les nationalistes.

Elle engage l'ABAKO pour mettre sur pied une coalition anti-nationaliste. Le 17 juin, elle charge Kasavubu de former le premier gouvernement congolais. S'appuyant principalement sur le PNP, le MNC-Kalonji et l'ABAKO, le projet de gouvernement de Kasavubu ne comprend aucun membre du MNC-Lumumba ni du PSA-Gizenga !

Mais, n'ayant pas trouvé de majorité pour soutenir ce complot, la Belgique se résigne à ce que Lumumba forme le gouvernement. Et elle redouble d'efforts pour briser Lumumba et les partis nationalistes.

 

(1)Congo, terre d'avenir,p.29; (2) Chronique de politique étrangère, vol. XII, n°4-6, juillet-nov. 1960, p.443-445; (3) La Pensée politique de Lumumba, p.l 1-12; (4) Pierre De Vos, Vie et mort de Lumumba, p.78-79; (5) Congo,1959,p.71-72; (6) Congo 60,I,p.144; (7) Congo 1959,p. 81 85; (8) De Vos,p.138-140; (9) Congo 1959, p.100; (10) De Vos,p.146; (11) Congo mai-juin 1960, p.80; (12) De Vos, p.154;

 

Le Maître, le Laquais et le Patriote

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Le 30 juin 1960 représente une journée exceptionnelle, non seulement pour l'histoire du Congo, mais pour l'histoire de l'Afrique entière. Jamais l'affrontement entre l'oppresseur et l'opprimé n'a été exprimé avec une telle force. Jamais un Africain n'a résumé en si peu de mots 80 années de terreur, d'exploitation et d'humiliation. Il faut lire les trois discours prononcés ce jour mémorable. Trois, en effet. Puisque entre le Maître et le Patriote s'est glissé le Laquais. Il faut relire ces discours, puisque des laquais, il y en a toujours. Et puisque les Patriotes qui veulent suivre la voie de Lumumba sont de plus en plus nombreux.

 

Le Maître

Le Roi Baudouin: "Pas en conquérant, mais en civilisateur"

 

L'indépendance du Congo constitue l'aboutissement de l'oeuvre conçue par le génie du roi Léopold II. Pendant 80 ans, la Belgique a envoyé sur votre sol les meilleurs de ses fils, d'abord pour délivrer le bassin du Congo de l'odieux trafic esclavagiste; ensuite pour rapprocher les unes des autres les ethnies, jadis ennemies.

Lorsque Léopold II a entrepris la grande oeuvre qui trouve aujourd'hui son couronnement, il ne s'est pas présenté à vous en conquérant mais en civilisateur.

Ne compromettez pas l'avenir par des réformes hâtives, et ne remplacez pas les organismes que vous remet la Belgique, tant que vous n'êtes pas certains de pouvoir faire mieux.

N'ayez crainte de vous tourner vers nous. Nous sommes prêts à rester à vos côtés pour vous aider de nos conseils,

L'Afrique et l'Europe se complètent mutuellement. Je souhaite que le peuple congolais conserve et développe le patrimoine des valeurs spirituelles, morales et religieuses qui nous est commun.

 

Le Laquais

Kasavubu : " les racines que la civilisation chrétienne a poussées en nous "

 

Sire, Excellences, Mes chers compatriotes,

L'aube de l'indépendance se lève sur un pays dont la structure économique est remarquable, bien équilibrée et solidement unifiée. Mais l'état d'inachèvement de la conscience nationale parmi les populations a suscité certaines alarmes que je voudrais dissiper aujourd'hui en rappelant tous les progrès qui ont été déjà acomplis en ce domaine et qui sont les plus sûrs garants des étapes qui restent à parcourir.

La Belgique a eu la sagesse de ne pas s'opposer au courant de l'histoire et, comprenant la grandeur de l'idéal de liberté qui anime tous les coeurs congolais, elle a su faire passer directement notre pays de la domination étrangère à l'indépendance.

Nous saurons dans tout le pays développer l'assimilation de ce que quatre-vingts ans de contact avec l'occident nous a rapporté de bien : la langue, la législation et enfin surtout la culture. Le contact de la civilisation chrétienne et les racines que cette civilisation a poussées en nous, permettront au sang ancien revivifié de donner à nos manifestations culturelles une originalité et un éclat tout particuliers.

Sire, la présence de votre Auguste Majesté constitue un éclatant et nouveau témoignage de Votre sollicitude pour toutes ces populations que vous avez aimées et protégées. Elles sont heureuses de pouvoir dire aujourd'hui à la fois leur reconnaissance pour les bienfaits que Vous et Vos illustres prédécesseurs leur avez prodigués et leur joie pour la compréhension dans laquelle Vous avez rencontré leurs aspirations.

Le Patriote

Lumumba : " Fiers de cette lutte qui fut de sang, de larmes et de feu. "

Congolais et Congolaises, Combattants de la liberté aujourd'hui victorieux, je vous salue au nom du gouvernement congolais.

A vous tous, nos amis qui avez lutté sans relâche à nos côtés, je vous demande de faire de ce trente juin 1960 une date illustre que vous garderez ineffaçablement gravée dans vos coeurs, une date dont vous enseignerez avec fierté la signification à vos enfants.

Cette indépendance du Congo, nul Congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier que c'est par la lutte qu'elle a été conquise, une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte dans laquelle, nous n'avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang.

Cette lutte, qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers jusqu'au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable, pour mettre fin à l'humiliant esclavage qui nous était imposé par la force.

Ce fut notre sort en 80 ans de régime colonialiste ; nos blessures sont trop fraîches et trop douloureuses encore pour que nous puissions les chasser de notre mémoire, car nous avons connu le travail harassant exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger à notre faim, ni de nous vêtir ou nous loger décemment, ni d'élever nos enfants comme des êtres chers.

Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des "nègres".

Nous avons connu les souffrances atroces des relégués pour opinions politiques ou croyances religieuses; exilés dans leur propre patrie, leur sort était vraiment pire que la mort même.

Nous avons connu qu'il y avait dans les villes des maisons magnifiques pour les Blancs et des paillottes croulantes pour les Noirs,

Qui oubliera enfin les fusillades où périrent tant de nos frères, les cachots où furent brutalement jetés ceux qui ne voulaient plus se soumettre au régime d'injustice, d'oppression et d'exploitation.

Nous qui avons souffert dans notre corps et dans notre coeur de l'oppression colonialiste, nous vous le disons tout haut : tout cela est désormais fini.

La République du Congo a été proclamée et notre cher pays est maintenant entre les mains de ses propres enfants.

Ensemble, mes frères, mes soeurs, nous allons commencer une nouvelle lutte, une lutte sublime qui va mener notre pays à la paix, à la prospérité et à la grandeur.

Nous allons établir ensemble la justice sociale et assurer que chacun reçoive la juste rmunération de son travail.

Nous allons montrer au monde ce que peut faire l'homme noir lorsqu'il travaille dans la liberté, et nous allons faire du Congo le centre de rayonnement de l'Afrique toute entière.

Nous allons veiller à ce que les terres de notre patrie profitent véritablement à ses enfants.

Nous allons revoir toutes les lois d'autrefois et en faire de nouvelles qui seront justes et nobles.

Et pour tout cela, chers compatriotes, soyez sûrs que nous pourrons compter non seulement sur nos forces énormes et nos richesses immenses, mais sur l'assistance de nombreux pays étrangers dont nous accepterons la collaboration chaque fois qu'elle sera loyale et ne cherchera pas à nous imposer une politique quelle qu'elle soit.

Ainsi, le Congo nouveau que mon gouvernement va créer sera un pays riche, libre et prospère.

Je vous demande à tous d'oublier les querelles tribales qui nous épuisent et risquent de nous faire mépriser à l'étranger.

Je vous demande à tous de ne reculer devant aucun sacrifice pour assurer la réussite de notre grandiose entreprise.

L'indépendance du Congo marque un pas décisif vers la libération de tout le continent africain.

Notre gouvernement fort - national - populaire, sera le salut de ce pays.

J'invite tous les citoyens congolais, hommes, femmes et enfants de se mettre résolument au travail, en vue de créer une économie nationale prospère qui consacrera notre indépendance économique.

Hommage aux combattants de la liberté nationale !

Vive l'Indépendance et l'Unité africaine !

Vive le Congo indépendant et souverain !

(d'après Congo mai-juin 1960, Ganshof Van der Meersch, pp. 235-244)

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