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25 juillet 2012 3 25 /07 /juillet /2012 19:13

Appendice

UN TéMOIGNAGE DE CAMILLA RAVERA47

 

Je savais, avant l'arrestation de Gramsci, qu'il était en train de travailler à une étude sur quelques thèmes de la question méridionale : il m'en avait parlé longuement.

Lorsque Gramsci, quoique député, fut arrêté (8 novembre 1926) après le fameux « attentat » de Bologne48, les personnes chargées de retirer ses affaires personnelles de la chambre qu'il occupait à Rome ne trouvèrent aucun écrit : seulement des objets personnels, et beaucoup de livres, de journaux, de revues, sous forme de paquets et de rouleaux, que la police, au cours de la perquisition, avait examinés négligemment et laissés là dans la pièce. Tout fut remis, selon les indications de Gramsci, aux personnes qui l'assistaient. Quelque temps après, Gramsci réussit toutefois à nous faire savoir qu'un certain rouleau de journaux, qu'il avait soigneusement enveloppé et ficelé, devait être transmis au Secrétariat du Parti (dont je faisais partie). Ce paquet parvint, en effet, au bureau de notre Secrétariat (désormais strictement clandestin). En compagnie d'Amoretti49, qui travaillait avec moi dans ce bureau, j'ai passé plusieurs heures à examiner attentivement - un par un - tous les journaux contenus dans ce rouleau, en pensant y trouver un message ou une indication. Nous avons fini par trouver au centre du rouleau quelques billets de mille lires (le Parti les avait confiés à Gramsci qui parvenait ainsi à les restituer au Secrétariat) et le manuscrit de son étude sur quelques thèmes de la question méridionale, en l'état où il avait dû le laisser (des feuillets du papier à en-tête de la Chambre des députés, remplis de sa petite écriture si claire ; nous en fûmes émus comme s'il s'était soudain trouvé là).

Nous avons versé l'argent à l'administrateur du Parti ; et nous avons placé le manuscrit en lieu sûr.

Je devais aller peu après à Paris pour une réunion avec les camarades du Centre extérieur du Parti et, en usant des moyens et des précautions alors en vigueur dans notre travail clandestin, je devais en profiter pour apporter le précieux manuscrit à Togliatti.

Et c'est ce que je fis. Le texte de Gramsci fut placé dans le double fond d'une valise d'aspect fort banal et fort innocent et, sous l'apparence d'une touriste belge régulièrement munie (par les soins de notre « bureau technique ») de tous les papiers nécessaires (passeport, etc.), je passai la frontière. Lorsque je rencontrai Togliatti, je lui remis le manuscrit de Gramsci.

1Ces « Notes », ainsi que le rapporte Camilla Ravera dans le témoignage publié en annexe, ont été retrouvées dans les papiers de Gramsci après son arrestation et publiées pour la première fois en janvier 1930 dans Lo Stato Operaio (IV, 1). revue théorique du P.C. d'ltalie qui paraissait alors à Paris. Republié par les soins de Togliatti dans Rinascita(II, 2, février 1915) à la fin de la guerre, ce texte a été réédité plusieurs fois par la suite.
Cet essai, auquel Gramsci n'a pu mettre la dernière main, s'intitulait initialement « Note sui problema meridionale e sull'atteggiamento nei suoi confronti dei comunisti dei socialisti e dei democrati  » - soit, littéralement : « Notes sur le problème méridional et sur l'attitude à son égard des communistes, des socialistes et des démocrates. » Mais ce titre originel - qui apparaît dans le manuscrit - a été corrigé - d'une autre écriture, semble-t-il - au profit d'une formule plus « publique » : « Alcuni temi della questione meridionale - Quelques thèmes de la question méridionale. »
Ainsi qu'un certain nombre d'autres articles auxquels Lo Stato Operaio faisait allusion dans sa présentation et qui nont pas été retrouvés, ce texte était destiné, on le sait, à la revue théorique mensuelle que Gramsci se préparaît à lancer en ressuscitant une fois de plus le titre de L'Ordine Nuovo.
Outre l'indication explicite du « prétexte » choisi par Gramsci - un article de Tommaso Fiore dans Quarto Stato du 18 septembre 1926 - une lettre à sa femme permet de dater la rédaction de ces « Notes » d'octobre 1926 : « Je suis en train de terminer un travail d'assez longue haleine qui s'avérera peut-être assez intéressant et assez utile ». lui écrit-il en effet le 20 octobre (2 000 pagine.... II p. 83). L'indication est intéressante à plusieurs titres, qui permet non seulement d'effectuer cette datation, mais qui témoigne de l'importance que Gramsci attribue désormais à la « question méridionale » et qui atteste surtout que ces « Notes » et les préoccupations qu'elles expriment sont pleinement contemporaines, et peut-être inséparables, de la lettre au Comité central du P.C. d'Union soviétique.
De par leur caractère de « travail d'assez longue haleine », ces « Notes » ne, sauraient bien entendu se réduire à l'incident qui leur sert de prétexte. La plaidoirie de Gramsci en faveur du « méridionalisme » de L'Ordine Nuovovise en particulier à plusieurs résultats : répondre, certes, aux « attaques » des « jeunes » de Quarto Stato, mais surtout légitimer la politique méridionaliste du P.C. d'Italie en la rattachant à la tradition d'un des groupes présents à Livourne et l'épurer, en l'inscrivant dans l'histoire du Parti, de tout caractère trop immédiatement tactique. Sans vouloir faire nôtres les critiques de Quarto Stato, il est certain pourtant que - jusqu'en 1923 - le « méridionalisme » des communistes italiens, L'OrdineNuovo y compris, n'a pas eu la linéarité que sous-entend Gramsci. On peut certes invoquer ici, comme, le fait Gramsci, certains textes « précoces » : « La questione meridionale » (Comunismo, no 13, 1920) et « Il problema meridionale ed comiunisti » (L'OrdineNuovo, 1ermai 1921), d'Alfonso Leonetti : « Il Partito comunista e la questione meridionale » (Rassegna comunista, no 11, 1921), de Giovanni Sanna, mais les thèses sur « La question agraire » du Congrès de Rome de 1922 - thèses rédigées par le même Sanna en collaboration avec Graziadei - ne soufflent mot de la « spécificité méridionale » et la doctrine du Parti reste fidèle - en témoigne la brochure de Bordiga sur La Questione agraria (Rome, 1921) -au marxisme le plus « orthodoxe ». La section agraire du P.C. d'Italie mise en place au moment du Congrès de Rome sera détruite quelques mois après par le fascisme et reconstituée seulement en 1924 à l'initiative de Gramsci. Ce n'est donc pas tout à fait sans motif qu'on verra - avec Aurelio Lepre - dans ces « Notes » de 1926 le prolongement de la lettre du 12 septembre 1923 sur la fondazion de L'Unità (« La questione meridionale nella lettera di Antonio Gramsci per la fondazione dell'Unità »,Rinascita, XXI, 6, 8 février 1964, pp. 25-27). Tandis que le nouveau quotidien va consacrer un certain nombre d'éditoriaux et d'articles (de Leonetti, Di Vittorio et Grieco, en particulier) à la « question méridionale », le programme de la section agraire reconstituée va miser - dès novembre 1924 - sur l'alliance entre le prolétariat du Nord et la paysannerie méridioriale. Les « Thèses de Lyon » de 1926 en feront, on le sait, l'une des pièces centrales de la nouvelle stratégie du P.C. d'Italie. Le 12 septembre 1926, enfin, moins d'un mois avant la rédaction de ces « Notes », la conférence agraire du Parti. réunie clandestinement à Bari - et le choix du lieu a son importance - adoptera des « Thèses sur le travail paysan » dont S. Caprioglio rappelle qu'elles étaient « directement inspirées par Gramsci » (Lettere dal carcere, Turin. 1965, p. XXXVII).

2 Fondée par Pietro Nenni et Carlo Rosselli. la revue Quarto Stato parut à Milan du 27 mars au 30 octobre 1926 (30 numéros publiés). Elle comptait parmi ses collaborateurs de jeunes socialistes comme Lelio Basso « qui y collaborait sous le pseudonyme de « Prometeo Filodemo ») et représentait, pour paraphraser Gramsci, une nouvelle génération du socialisme italien. Menant un travail d'autocritique - d'autocritique, mais non de « démolition », ainsi que le précisait Rosselli - et prenant acte de l'effondrement du vieux P.S.I. face au fascisme, elle œuvrait simultanément pour la rénovation et l'unification du socialisme en Italie. Assez largement diffusé dans les milieux démocrates et socialistes et, particulièrement, parmi les étudiants, Quarto Stato représentait une présence irritante pour les autres courants de la gauche et son implantation milanaise - dont Stefano Merli souligne justement l'importance - ne pouvait laisser indifférent un Gramsci que préoccupait la « conquête du prolétariat milanais ». Cf. S. Merli, « Il Quarto Stato di Rosselli e Nenni e la polemica sol rinnovamento socialista nel 1926 », in Rivista Storica del Socialismo, III, 11, septembre-décembre 1960, pp. 819-828 et, pour une vue d'ensemble de la revue. Il Quarto Stato di Nenni e Rosselli, acura di D. Zucàro, Milan, 1977.

3 Ulenspiegel [T. Fiore], « Il problema meridionale », Quarto Stato, 18 septembre 1926 (aujourd'hui in Il Quarto Stato..., op. cit., pp. 252-257) : mais c'est manifestement la note de présentation signée « Noi » (ibid.,pp. 249-251) et due probablement à Rosselli et Nenni qui suscite ici la colère de Gramsci. Originaire des Pouilles, Tommaso Fiore avait collaboré, à La Rivoluzione liberale deGobetti ; le sous-titre du livre qui lui vaudra le prix Viareggio en 1952 viendra d'ailleurs le rappeler : Un popolo di formiche, Lettere pugliesi a Piero Gobetti (Bari, 1952). Cf., aussi, son tableau des Pouilles : Il cafone all'inferno (Turin, 1955).

4 Guido Dorso (1892-1947) avait été interventionniste et avait même collaboré un temps au Popolod'Italia. à la fin de la guerre, il s'était rapproché de Gobetti, avait critiqué, lui aussi, la Réforme Gentile et avait collaboré à La Rivoluzione liberale. C'est également chez Gobetti qu'avait été éditée La Rivoluzione meridionale. Dorso y menait la critique - désormais classique - du Risorgimento comme « conquête royale » : en s'appuyant, pour réaliser l'Unité, sur les vieilles oligarchies méridionales et en les confortant dans leurs privilèges, la bourgeoisie septentrionale avait été à l'origine de 1'« arriération », du Mezzogiorno ;arriération que la suite de l'histoire italienne - de Giolitti à Mussolini - n'avait fait que perpétuer... Comme on pouvait le prévoir, La Rivoluzione meridionale fut mise à l'index par le fascisme.

5 Retraçant à grands traits la découverte de la « question méridionale » de la part du P.C. d'Italie, Dorso saluait dans « cette marche impétueuse vers la vérité » une manifestation de « maturité politique » qui plaçait le Parti communiste « au premier rang parmi les mouvements libéraux italiens » (La Rivoluzione meridionale, Turin, 1955, p. 162).

6 « Operai e contadini », L'Ordine Nuovo, I, 32, 3 janvier 1920, in L'Ordine Nuovo 1919-1920, éd. cit., pp. 316-318.

7 Député puis sénateur libéral, Giustino Fortunato (1848-1932) est 1'un des grands maîtres du « méridionalisme ». Originaire de Basilicate, lui-même se proclamait « frénétiquement unitaire » et entendait traiter la question méridionale comme partie intégrante des problèmes de la société globale : Il mezzogiorno e lo Stato italiano (Bari, 1911). La questionemeridionale e la riforma tributaria(Rome, 1920) etc. Des gênérations de « méridionalistes », de Salvemini à Dorso, se sont réclamées de lui. Quarto Stato, en particulier, lui avait consacré un article, de la plume de Tullio Ascarelli : « Un carattere : G. Fortunato » (cité par S. Merli, loc. cit., p. 823). Collaborateur de L'Unitàde Salvemini, Eugenio Azimonti (1880-1960) était également un « méridionaliste » ; Il mezzogiorno agrario qual'è (Bari, 1919). Quant à Salvemini et Arturo Labriola, cf. écritspolitiques, I, pp. 140, n. 2 ; 78, n. 2.

8 Sur Enrico Ferri, cf. écritspolitiques, I, p. 145, n. 2 ; écrits politiques, II, p. 60, n. 1 et, supra, p. 251. Positiviste à la façon de Ferri et de Lombroso, l'anthropologue Giuseppe Sergi (1841-1936) avait publié en particulier un ouvrage, Arii e Italici (Turin, 1898), illustrant assez bien la vision « raciale » sinon raciste, des problèmes méridionaux. Quant à Alfredo Niceforo (1876-1960), il est probable que Gramsci ne pense pas tant à L'Italia barbara contemporanea(Milan-Palerme, 1898) ou à Italiani del Nord e italiani del Sud (Turin, 1901) qu'à La delinquenza in Sardegna (Palerme, 1897), ouvrage de criminologie préfacé par Enrico Ferri, « dans lequel l'auteur se servait des mensurations crâniennes d'un certain nombre de bergers de Barbagia, en Sardaigne, pour conclure à l'existence, entre Orgosolo, Orune et Bitti, d'une “ zone de délinquance ”, peuplée d'hommes ayant sucé le bacille du crime presque à la mamelle » (G. Fiori, La vie de Antonio Gramsci, éd. cit., p. 94). Ancien syndicaliste révolutionnaire rallié au fascisme, Paolo Orano s'était, au dire de ses adversaires, illustré comme anthropologue en dénigrant son île natale dans Psicologia della Sardegna (Rome, 1896).

9 Une première vague de « brigandage » avait secoué le royaume de Naples après la révolution de 1799 et avait favorisé le triomphe de la réaction sanfédiste. Un deuxième mouvement - celui auquel pense Gramsci - se développa dans la même région aussitôt après l'annexion du Mezzogiorno au royaume d'Italie. Si les légitimistes - qui allèrent parfois promettre aux Paysans le partage des terres - tentèrent de détourner alors à leur profit la volonté de « pandestruction » des bandes armées, il serait excessif pourtant de réduire ce phénomène aux seules dimensions d'une « Vendée méridionale ». Et renvoyer aux études sociologiques sur la « délinquance » serait sans doute plus pertinent. Le « brigandage » se présente en effet comme une réponse populaire - d'une société essentiellement rurale et pré-capitaliste - à une unification menée par en haut et confiée à l'administration militaire. Réponse au pillage et aux exactions et réaction au processus brutal de la piémontisation : nouveau système fiscal, service militaire obligatoire, augmentation d'autorité du prix de denrées essentielles comme le pain et le sel. Et déception aussi : nombre de promesses n'avaient pas été tenues et l'on avait pu voir l'armée italienne - à Bronte, par exemple - étouffer d'une « main de fer » les revendications paysannes... C'est, du reste, à l'armée que le gouvernement italien - sans envisager une solution politique ou sociale - confia le soin de liquider le « brigandage » : on proclama l'état de siège et l'on instaura une législation d'exception qui déféra « brigands » et suspects devant les tribunaux militaires. Et l'on pacifia le pays par les armes.

10 En fait, comme lui-même le rappelle, l'idée d'une candidature de Salvemini aux élections de 1914 fut abandonnée aussitôt que ce dernier eut rappelé à ses interlocuteurs turinois qu'il « n'avait plus aucun lien avec le Parti socialiste ». Tasca le confirme dans une lettre du 29 décembre 1954 (G. Salvemini, Scritti sulla questione meridionale (1896-1955), Turin, 1958, pp. XXIII-XXV). La thèse du « refus » reparaît toutefois dans les Cahiers de prison : « Réaction du Nord aux préjugés antiméridionaux. Premier épisode en 1914 à Turin : proposition de candidature à Salvemini : la ville du Nord élit le député pour la campagne du Sud. Refus, mais participation de Salvemini à la campagne électorale en tant qu'orateur... » (« Reazioni del Nord alle pregiudiziali antimeridionali », Cahier I (XVI), 1929-1930, p. 52).

11 Sur cette réunion, cf. « La Sardaigne et la classe ouvrière », in écrits politiques, I,pp. 315-317.

12 Il s'agit de la grève internationale de solidarité avec les révolutions russe et hongroise des 20-21 juillet 1919. Salvatore Sechi a retrouvé récemment un certain nombre de tracts diffusés par Gramsci en cette occasion parmi les soldats de la brigade Sassari (S. Sechi, Dopoguerra e fascismo in Sardegna, déjà cité, p. 25). Cette action auprès des soldats sardes est également évoquée dans la note des Cahiers que l'on vient de citer.

13 La proposition de transformer la FIAT en coopérative fut lancée par Giovanni Agnelli alors même que le mouvement d'occupation des usines - quelque peu « désamorcé » après la réunion de Milan des 9-11 septembre 1920 - commençait déjà de s'essouffier. Il s'agissait, ainsi qu'il l'exposa le 19 septembre au député socialiste Giuseppe Romita, de faire de la FIAT « une grande coopérative de production ». C'étaient les jours où Luigi Albertini voulait confier le gouvernement de l'Italie à la C.G.L. ; où d'autres industriels voulaient, eux aussi, transformer leurs entreprises en coopératives : les mines de l'île d'Elbe, par exemple... La démarche d'Agnelli fut donc suivie d'une série d'entretiens avec les parties intéressées : représentants de la F.I.O.M. et des coopératives, mandataires de la Bourse du travail de Turin, délégués d'ateliers. Tentative d'« intoxication » à l'approche du référendum du 25 septembre qui devait décider de l'évacuation des usines ? Sans doute : et, de fait, le projet fut abandonné dès l'évacuation de la FIAT, le 30 septembre suivant. Volonté aussi, de la part d'Agnelli, d'accroître sa marge de manœuvre par rapport au reste du front patronal ? C'est certain : et, après avoir signé un accord séparé pour la FIAT (le 27 septembre), on pourra le voir s'assurer le contrôle total du conseil d'administration et conforter sa position au sein de la Lega industriale de Turin (cf., sur ces points, V. Castronovo, « La grande industria : giochi interni e finea di fondo », in Il Ponte, XXVI, 10 [« 1920. La grande speranza »], 31 octobre 1970, pp. 1198-1221).

14 Cf., par exemple, « La Fiat diventerà una cooperativa ? », in Avanti !, édition piémontaise, 1er octobre 1920 - article anonyme, mais dû certainement à Gramsci ; aujourd'hui in L'Ordine Nuovo, 1919-1920, Turin, 1955, pp. 172-176.

15 à partir de communes origines idéologiques - anarcho-syndicalisme, syndicalisme révolutionnaire et, surtout. sorélisme - ce « noyau syndicaliste » avait en tait éclaté à l'époque de la guerre de Tripolitaine et de la première grande crise de l'impérialisme italien. Labriola, on l'a dit (écrits politiques, I, p. 78,n. 2), s'était prononcé pour la guerre coloniale : il avait fait alors un bout de chemin avec les nationalistes, collaborant en particulier à La Lupa (1910-1911), revue dans laquelle Paolo Orano, issu lui aussi du syndicalisme, jetait les prémisses d'un « socialisme national » qui allait le conduire à adhérer au fascisme. Enrico Leone, inversement, refusait l'aspect militaire de la conquête (Espansionismo e colonie, 1911), pour regagner le giron du socialisme officiel, mais n'en allait pas moins apparaître, au même titre qu'Orano, comme un précurseur du fascisme. (Cf. écrits politiques, I, p.74, n. 1.) Figure plus complexe, quoique de moindre grandeur, Ernesto Cesare Longobardi, qui procédait également d'un sorélisme antiréformiste (n'avait-il pas été l'un des fondateurs de la Bourse du travail de Salerno ?), ne cédait pas à la fascination de Tripoli, mais se réveillait interventionniste en 1914. Il devait ensuite adhérer au P.S.I., puis au P.C.I. et même collaborer à L'Unità et à L'Ordine Nuovo, IIIesérie.

16 écrivain, journaliste et plus tard député, Enrico Corradini (1865-1931) mêlait aux influences du nationalisme français quelques accents soréliens. Après Giulio Cesare (1902), drame exaltant la grandeur de la Rome antique, il fondait Il Regno (1903-1905), revue dont allait sortir le courant majeur du nationalisme italien : La Voce, de Prezzolini et Papini (1908), l'Associazione Nazionalista Italiana, fondée en 1910, et L'Idea nazionale (1911), premier journal du nationalisme italien. Son projet ? Le nationalisme comme négation et dépassement du socialisme ; la substitution de la guerre entre nations « bourgeoises » et nations « prolétaires » à la lutte des classes ou encore, pour reprendre le titre de son discours au congrès de fondation de l'Associazione Nazionalista Italiana, « Classes prolétariennes : socialisme ; nations prolétariennes : nationalisme ». Nationalisme qui était pour lui synonyme d'expansion coloniale : la conquête de la Libye - L'Ora di Tripoli(1911) -marqua, pour Corradini, le réveil de la « grande prolétaire », entendez : l'Italie.

17 C'est effectivement comme « soréliens » que tous trois avaient commencé leur carrière dans les premières années du siècle. De sentiments syndicalistes (il collaborait à la même époque au Divenire sociale de Paolo Mantica et Enrico Leone), Tommaso Monicelli avait été rédacteur politique à l'Avanti !du temps de la direction « révolutionnaire » de Ferri (1904-1905) et il avait rompu avec l'organe socialiste lors de la « conversion » de son directeur (1906). On l'avait retrouvé ensuite à la tête du Viandante(1909-1910), feuille non conformiste de Milan, dont le jeune Gramsci avait été, de son aveu, un lecteur assidu, puis, assez soudainement, dans les rangs nationalistes, comme collaborateur de L'Idea nazionale. Il s'y était montré un des plus ardents partisans de la fusion avec le P.N.F. Devenu directeur du Resto del Carlino, il avait dû toutefois démissionner sous la pression du secrétaire des fasci de Bologne, Leandro Arpinati. Le Napolitain Roberto Forges Davanzati avait suivi à peu près le même itinéraire : syndicaliste révolutionnaire précocement converti au nationalisme, il avait contribué à fonder avec Corradini l'Associazione Nazionalista Italiana et L'Idea nazionale (dont il était le directeur), particulièrement agissant dans la crise de l'intervention, au sortir de la guerre il s'était efforcé de donner un nouveau souffle au mouvement et avait lancé entre autres, avec Francesco Coppola, une revue de théorie nationaliste. Politica(1918). Directeur de La Tribunaaprès la fusion national-fasciste de 1923, il était apparu, au cours de la crise Matteotti, comme l'un des hommes forts du régime. Syndicaliste également repenti, Maurizio Maraviglia avait été l'un des fondateurs de L'Idea nazionale. Membre du Grand Conseil fasciste, il était aussi « commissaire » pour le Mezzogiorno.

18 Arturo Labriola, Storia di dieci anni - 1899-1909, Milan, Il Viandante, 1910.

19Hebdomadaire de la Lega democratico-cristiana italiana, L'Azione de Cesena avait succédé (1912) à L'Azione democratica. Elle était dirigée par Eligio Cacciaguerra et comptait parmi ses collaborateurs Giuseppe Donati et Eugenio Vaina.

20 Tout comme Gramsci ou comme Orano, Niccolo Fancello était sarde. Se réclamant de Sorel et du syndicalisme révolutionnaire, mais partageant l'une des principales préoccupations de Salvemini et du « méridionalisme », il avait publié dans l'Avanti ! en 1913 une série d'articles en faveur du libre-échange et en compagnie d'un autre Sarde, Attilio Deffenu, avait fondé, toujours en 1913, un « Groupe d'action et de propagande antiprotectionniste » auquel Gramsci avait donné son adhésion. Par la suite Fancello avait participé aux Fasci et collaboré au Popolo d'Italia.
Jusqu'à la guerre, l'itinéraire d'Agostino Lanzillo (1886-1952) avait été peu ou prou celui des autres syndicalistes se réclamant de Sorel. Disciple, correspondant, ami et, parfois, confident de ce dernier (qui lui adressa en 1910 une fort belle lettre autobiographique), lié également à Croce, Lanzillo avait effectivement collaboré à l'Avanti !, où, côte à côte avec Mussolini, il avait mené bataille contre le réformisme, ainsi qu'au Divenire sociale, à La Voce et à L'Unitàde Salvemini. Interventionniste en 1914, il était alors passé au Popolo d'Italia et avait fini par adhérer au fascisme. Cf. aussi p. 274, n. 2. Pour Sergio Panunzio également, le fascisme pouvait apparaître comme une sorte d'aboutissement logique. Mais en fait, tant à l'égard de Mussolini que de l'état que ce dernier allait fonder, Panunzio avait toujours fonctionné comme un précurseur. Collaborateur du Divenire sociale, de l'Avanti ! et d'Utopia- revue que publia Mussolini en 1913-1914 - puis du Popolo d'Italia, du Rinnovamento d'Alceste De Ambris (1918-1919) ou de Critica fascista, ce syndicaliste méridional (il était né à Molfetta, comme Salvemini) avait toujours anticipé sur Mussolini, le marquant de son influence dès les débuts du siècle, alors que le futur Duce commençait seulement de s'initier au socialisme, le secondant et le précédant dans la lutte contre le réformisme, le devançant en 1914 dans le débat sur l'intervention et, surtout. formulant très tôt une première théorie de l'état syndical ou corporatiste (Sindacalismo e medio evo, Naples, 1910).
Méridional (il était né à Potenza, en Basilicate), l'historien Ettore Ciccotti (1863-1939) avait présenté, devant le Congrès socialiste de Bologne (1904), un rapport sur l'Azione del P.S. in rapporto al problema meridionale (Imola, 1904). La même année, il avait également publié un ouvrage liant la question méridionale aux problèmes du développement de l'économie capitaliste en Italie (Sulla questione meridionale, Milan, 1904). Après le Congrès de Reggio Emilia, il avait publié dans La Voce, à la demande de Prezzolini, un compte rendu extrêmement favorable à Mussolini, lequel lui offrit en retour l'hospitalité de l'Avanti ! pour débattre de la question méridionale.

21 En fait, c'est plutôt Mussolini qui apparaît débiteur, tant à l'égard de Salvemini qu'envers Prezzolini et La Voce. Du premier, il retient en effet certains éléments de la polémique antiréformiste, des lumières sur la question méridionale, des animosités (contre Giolitti, contre la franc-maçonnerie), des encouragements (dans l'hostilité à la guerre de Libye comme dans le choix interventionniste de 1914), Prezzolini et La Voce le sensibilisent aux problèmes du syndicalisme, jettent en lui les germes de la polémique antidémocratique, précipitent chez lui la rupture avec le positivisme. l'évolution vers ce néo-idéalisme à mi-chemin entre Bergson et Croce qui caractérise et syndicalistes et « mussoliniens ». C'est surtout après le Congrès de Reggio Emilia de 1912 que Salvemini, espérant en un renouveau du socialisme, paraît miser sur Mussolini ou, du moins, s'intéresser à lui : au cours des deux années 1913-1914, il ne publiera pourtant que deux articles et une lettre dans l'Avanti ! mussolinien. Avec Prezzolini et La Voce, des relations se sont nouées dès 1904, pendant le séjour de Mussolini dans le Trentin (6 février-26 septembre) : Mussolini apparaît alors comme un lecteur assidu de La Voce et entretient avec Prezzolini une correspondance assez suivie. Mussolini publie dans Il Popolode Trente un compte rendu élogieux de La Teoria sindacalista de Prezzolini, lequel, à son tour, le soutient lorsqu'il est expulsé du Trentin. C'est aux éditions de La Voce que Mussolini publie en 1911 Il Trentino veduto da un socialista, etc.

22 Cf. écrits politiques, II, p. 58, n, 1.

23 Il s'agit d'un accord secret noué entre Giolitti et le comte Ottorino Gentiloni (1865-1915). président de l'Union électorale catholique italienne, à l'occasion des élections des 26 octobre et 2 novembre 1913. Le public en eut connaissance grâce à une interview de Gentiloni parue dans le Giornale d'Italia quelques jours après les élections (8 novembre 1913) : Gentiloni y déclarait, en effet, avoir fait voter pour les candidats libéraux. Comparable à ce que fut, vingt ans auparavant, le « Ralliement » en France, le « pacte Gentiloni » assura donc au gouvernement l'appui des catholiques, mais, surtout, il marqua leur entrée dans la vie politique italienne.

24 Allusion aux origines méridionales d'Antonio Salandra, né à Troia, dans les Pouilles, et député de Foggia, capitale des Pouilles.

25 Avant de se rallier au réformisme, Francesco Ciccotti Scozzese (1880-1937) avait appartenu à l'aile révolutionnaire du P.S.I. « Intégraliste » avec Ferri, « intransigeant » avec Lazzari, Vella et Mantica, il avait collaboré au Viandante de Monicelli et dirigé, La Lotta di Classe pendant l'incarcération de Mussolini. En 1917 encore, si l'on en croit Gramsci, les « intransigeants » de la section turinoise avaient essayé de le faire nommer directeur de l'Avanti ! Hostile à l'intervention et au revirement de Mussolini. il n'en finit pas moins par adopter, tandis que la guerre durait, un comportement toujours plus zigzaguant. C'est là sans doute l'origine de l'accusation lancée ici par Gramsci et reprise plus explicitement dans une note des Cahiers de prison : tout au long de la guerre, Ciccotti aurait agi comme un « agent » de Nitti ou de Giolitti ; envoyé à Turin par l'Avanti ! pour donner une conférence, il aurait agi comme un provocateur et déclenché l'insurrection d'août 1917, qui, toujours selon Gramsci, visait à entraîner la chute du gouvernement Boselli et à ramener, à plus ou moins long terme, Giolitti au pouvoir. L'article de La Stampa contre Salandra - qui se trouve être un article anonyme - aurait bien entendu participé de ce plan (« Intellettuali italiani », Cahier I (XVI), 1929-1930, pp. 74a-78). Dans l'essai qu'il a consacré depuis à l'insurrection d'août 1917- Alberto Monticone note à juste raison que ces affirma tions de Gramsci « apparaissent complètement gratuites » (A. Monticone, « Il socialismo torinese ed i fati dell'agosto 1917 »[1958], in Gliitaliani in uniforme 1915-1918, Bari, 1972, pp. 89-144).

26 Il s'agit, une fois encore, de la « grève des aiguilles » d'avril 1920. Il est à noter à ce propos que le texte est écrit au présent. C'est là, en effet, paraphrasé ou cité sans guillemets, le discours gramscien de l'automne 1920 - discours qui répond aux offres de collaboration de classe de la direction de la FIAT et qui se poursuit ici depuis la page 339.

* Jeu de mots sur sudisti (méridionaux) et sudici (sales, crasseux). (N. d. T.)

27 Cette formule, qu'il paraît difficile d'attribuer au seul Prampolini, appartenait plutôt à 1'air du temps. C'est ainsi que dans une lettre à Engels du 18 juin 1895 - lettre encore inédite à l'époque où écrit Gramsci - Turati parle d'« Italie du Sud - ou sudicia[crasseuse] si vous préférez » (La corrispondenza di Marx e Engels con ialiani, 1848-1895, A cura di G. Del Bo, Milan, 1964, p. 605). Dans le cas présent, ainsi que me le suggère Antonio Benenati, que je remercie ici, l'image est probablement reprise d'un commentaire de Francesco Papafava sur les « cent jours » du gouvernement Sonnino de 1906 : « Le très bref ministère Sonnino - écrit en effet Papafava - a été assez long pour offenser nombre de grandes vanités et d'intérêts plus ou moins crasseux (sudici), y compris, bien entendu, ceux du Nord » (Dieci anni divita italiana,1899-1909, Bari, 1913, II, p. 552).

28 Le récit des événements qu'évoque ici Gramsci est repris d'une correspondance de Reggio publiée par Togliatti dans L'Ordine Nuovo quotidien. « I metallurgici di Reggio contrari al cooperativismo dei riformisti » (L'Ordine Nuovo, 3 février 1921 - aujourd'hui in P. Togliatti, Opere, I, 1917-1926, Rome, 1967, pp. 207-210). à l'instar des métallurgistes de la FIAT, et quoiqu'ils y aient été encouragés par le secrétaire de la Bourse du travail de Reggio, le député réformiste Arturo Belielli, les ouvriers des « Officine meccaniche italiane » de Reggio avaient effectivement refusé de transformer l'usine en coopérative. La propagande communiste contre le projet réformiste et, en particulier, l'intervention d'Umberto Terracini - le « communiste turinois », dont va parler Gramsci - avaient été, semble-t-il. décisives. Bellelli ayant accusé les communistes de collusion avec la direction de l'usine (La Giustizia, 6 février 1921), Gramsci l'« exécuta » dans un article de L'Ordine Nuovo, (« Unasino bardato », L'Ordine Nuovo, 9 février 1921, in Socialismo e fascismo. L'Ordine Nuovo, 1921-1922, Turin. 1966, pp. 64-67).

29 Cf. « L'avènement de la démocratie industrielle », 6 avril 1921, in écritspolitiques, II, pp. 102-104.

30 à dater de 1866, la confiscation des seuls biens du clergé aboutit à la mise envente de 750 000 hectares de terre. Une masse considérable de biens de mainmorte fut également jetée sur le marché et l'ensemble finit par représenter (vers la fin du siècle) plus de 2 500 000 hectares de terre qui allèrent « grossir le patrimoine foncier de la bourgeoisie, et des grands propriétaires terriens. à l'exception du Latium, ancien domaine d'église, la plupart de ces terres étaient situées en Italie méridionale et dans les îles. Cf. E. Sereni, Il capitalismo nelle campagne (1860-1900), Turin, 1968 (1re éd. : 1947), pp. 132 et suiv

31 Antonio Salandra avait été, entre autres, président du Conseil du 21 mars 1911 au 10 juin 1916 et avait tout fait pour entraîner l'Italie dans la guerre. Il était, on l'a dit, originaire des Pouilles. Vittorio Emanuele Orlando, qui fut président du Conseil d'octobre 1917 à juin 1919, était, quant à lui, sicilien. Pour Giovanni Antonio Colonna Di Cesarô, qui était également sicilien, cf., supra, p. 123, n. 2.

32 Cf., supra, pp. 106, n. 2 ; 247, n. 1 et 261, n. 3.

33 C'est effectivement parmi les anciens combattants que s'était constitué le Partito Sardo d'Azione. Cf. écrits politiques, II, p. 226, n. 3 et supra,p. 263, n. 2, et, surtout, l'étude exhaustive de S. Sechi, Dopoguerra e fascismo in Sardegna, déjà cité.

34 On se souvient que Gramsci a déjà évoqué la « spécificité » sicilienne dans son « Que faire ? » de 1923 - in écrits politiques, II, pp. 304-307.

35 Gramsci se réfère essentiellement à la fameuse enquête conduite en Sicile par Leopoldo Franchetti et Sydney Sonnino, La Sicilia nel 1876, Libro I. L. Franchetti, Condizioni politiche e amministrative della Sicilia ; Libro II, S. Sonnino, Icontadini in Sicilia, Florence, 1877. à partir de 1878, Franchetti et Sonnino publièrent une revue, LaRassegna settimanale, où devaient paraître d'autres études sur la « question méridionale ».

36 De l'albanais shqiptar(= albanais). Cf. Fjalor Themelor Frëngjisht Shqip,Tirana. 1972, p. 14.

37 ...en tant que Nitti avait toujours bataillé en faveur de l'émigration, qui lui paraissait constituer le seul remède à la misère du paysannat méridional. Cf. son livre. L'emigrazione italiana ed i suoi avversari, Turin, 1888, et, pour sa vision d'ensemble du problème méridional, F. Rizzo, F. S. Nitti e il Mezzogiorno, Rome, 1960.

38 Cf., supra,p. 123, n. 2.

39 La Critica, revue de littérature. d'histoire et de philosophie, dirigée par Benedetto Croce, parut sans interruption de 1903 à 1944 (des Quaderni della « Critica »lui succédèrent de 194 5 à 1951). Elle contribua à former des générations d'intellectuels et représenta sans doute, pour paraphraser Gramsci, la principale tentative de « laïcisation » de la culture italienne. C'est peu après la fondation de La Critica que Croce entra en contact avec l'éditeur Giuseppe Laterza dont le sort allait ainsi rester longtemps associé à la fortune du « néo-hégélianisnie » italien : mon action - écrit, en effet, Croce - « devint plus efficace grâce à la volonté courageuse d'un jeune éditeur des Pouilles, Laterza, de Bari... C'est ainsi que fut créée en 1906 la collection des Classiques de la philosophie moderne, imaginée par Centile et que nous dirigeâmes tous deux, et plus tard celle des écrivains d'Italie, et d'autres moins importantes... » (B. Croce, Contributo alla critica di me stesso, Bari, 192 3 ; Contribution à ma propre critique, trad. de J. Chaix-Ruy. Paris, 1949, pp. 61-62).

40 Pour La Voce et L'Unità(il s'agit ici, bien entendu, de la revue qu'animait Salvemini), cf. écrits politiques, I, pp. 140, n. 2 et 178, n. 1, quant à L'Azionede Cesena, cf., supra, p. 341, n. 4.

41 C'est en 1901 que fut fondé à Florence, sur l'initiative de Giovanni Borelli (1867-1932), le Partito liberale giovanile italiano, qui devait éclater après 1910 et fournir bon nombre de militants à l'Associazione nazionalista italiana. Le mouvement disposait effectivement d'un certain nombre d'organes implantés en Italie centrale et septentrionale qui lui permettaient de diffuser ses thèses irrédentistes et impérialistes Il Rinnovamento(Florence), Il Risveglio liberale(Mantoue), Avanti Savoia(Bologne), Critica e Azione(Milan). Rédacteur du Popolo romanoet même un temps rédacteur en chef du Corriere della Sera, Borelli lui-même avait fondé L'Italia liberale(Milan, 1895-1900) et il collaborait indifféremment à la revue nationaliste Il Regno, à La Lupade Paolo Orano, au Resto del Carlino (Bologne) et à L'Ora presente (Turin) ; à partir de 1925, sa signature apparut régulièrement dans Il Popolo d'Italia. Quelques jours avant la « marche sur Rome ». Borelli était intervenu auprès de Giolitti en faveur d'un rapprochement avec Mussolini. Cf. A. Riosa, « Borelli, Giovanni ». in Dizionario biografico degli italiani, XII, Rome, 1970, pp. 541-543. et, pour le dernier fait évoqué, P. Alatri Le origini del fascismo, Rome, 1961, p. 226.

42 La Patria, de Bologne, était dirigée par Filippo Naldi, ancien rédacteur du Secolo de Milan, qui fut chargé en 1913 de la direction du Resto del Carlino ; le même Naldi, l'année suivante, fournit à Mussolini une partie des fonds nécessaires au lancement du Popolo d'Italia.
L'Azione. Rassegna liberale e nazionale
commença de paraître à Milan, sous la direction de Paolo Arcari et Alberto Caroncini, le 10 mai 1914. Hebdomadaire jusqu'au 30 mai 1915, après une brève interruption, L'Azionereparut sous forme de bimensuel à partir du ler août 1915. Caroncini était un ancien collaborateur de La Voce et avait participé avec Giovanni Borelli à l'organisation des « Jeunes libéraux » ; Arcari avait organisé une enquête sur le sentiment national en Italie : La coscienza nazionale in Italia : Voci del tempo raccolte e ordinate da Paolo Arcari (Milan, 1911). L'Azionecompta parmi ses collaborateurs G. A. Borgese, Dino Grandi, Mario Missiroli, etc., et même pour quelques numéros. Giovanni Amendola. Sur Gobetti et La Rivoluzione liberale,cf. écrits politiques, II, p. 243, n. 2.

43 Cf. écrits politiques, I, p. 70, n. 1.

44 Il est probable que Gramsci vise tout particulièrement certaines critiques de la « gauche » auxquelles il a déjà répondu dans un article du 2 juillet 1925, « Vecchia musica [Vieille musique] » : « Voilà qu'Amadeo Bordiga vient juste d'écrire : “Voyez, voyez où l'on en est. Repossi et Fortichiari seraient sortis de la ligne, tandis que Miglioli et Gobetti et les dirigeants sardes et qui sait encore qui seraient au contraire orthodoxes. ” Mais qui a jamais dit une chose pareille ? Qui a jamais dit que Gobetti et Miglioli étaient communistes ? (...) L'attitude de Gobetti nous intéresse parce qu'elle signifie qu'un certain nombre d'intellectuels sont plus à gauche que les maximalistes eux-mêmes et ne seraient pas bien loin de collaborer avec le prolétariat révolutionnaire » (La costruzione..., pp. 376-377).

45 Cf., par exemple, le texte de Terracini cité in écrits politiques, II p. 213, n. 2. On sait, d'autre part, que, par amitié pour Gramsci et connaissant l'affection de ce dernier pour Gobetti, Bordiga, du temps qu'il était à la tête du P.C. d'Italie, était intervenu auprès de ses camarades pour qu'ils modèrent leurs attaques contre La Rivoluzione liberale et son jeune directeur.

46 Piero Gobetti venait de mourir en exil, à Paris, le 15 février 1926.

47Collaboratrice de L'Ordine Nuovo, quotidien dans lequel Gramsci lui avait confié une «Tribuna delle donne », puis responsable de la rédaction de La Compagna, Camilla Ravera fit partie du Comité central reconstitué, le 5 mars 1923 après l'arrestation des principaux dirigeants du Parti communiste. Elle avait assisté entre-temps, comme membre de la délégation italienne, au IVe Congrès de l'I.C. Cooptée sur les conseils de Gramsci dans la nouvelle direction mise en place en août 1924, elle y fut chargée de la Section féminine. Membre du Bureau politique et du Secrétariat du P.C. à dater du Congrès de Lyon, après les arrestations de 1926, elle organisa - en décembre -un secrétariat clandestin qu'elle dirigea jusqu'à son départ pour la France en août 1927. Rentrée clandestinement en Italie pour y reconstituer le « Centre intérieur » du P.C., elle fut arrêtée le 10 juillet 1930 et condamnée à 15 ans et 6 mois de prison. Elle fut libérée après le 25 juillet 1943.
Le texte qui suit est daté du 10 janvier 1962 : Il nous a été fort aimablement envoyé alors par Camilla Ravera à qui nous avions demandé un « témoignage » sur les circonstances qui lui avaient permis de retrouver le manuscrit des « Notes sur la question méridionale ». Nous l'en remercions ici publiquement.

48 Il s'agit, bien entendu, de l'« attentat » de Bologne du 31 octobre 1926 : un jeune garçon de 15 ans, Anteo Zamboni, qui avait tiré sur Mussolini, fut lynché sur place par l'entourage du Duce, ce qui coupa court à toute enquête sérieuse. L'affaire fut mise à profit pour promulguer, dès le 5 novembre, une législation d'exception et instituer, en particulier, un « Tribunal spécial ». Le 9 novembre, la Chambre fasciste proclama la déchéance de tous les députés d'opposition. Une loi en date du 25 novembre institua la peine de mort.
On trouvera un récit de cette période et des circonstances de l'arrestation de Gramsci dans une lettre de Camilla Ravera à Togliatti de la mi-novembre 1926. parue sous le titre « Alcuni non giunsero più... ». in Rinascita, XXI, 18, 5 décembre 1961, pp. 21-25., aujourd'hui in A. Gobetti. Camilla Ravera, Vita in carcere e al confino con lettere e documenti,Presentazione di N. Bobbio, Parme. 1969, pp. 346-358.

49 Giuseppe Amoretti était, selon la formule de Leonetti, l'un des « piliers » de la rédaction de L'Unità. Né en 1902, Amoretti avait collaboré à l'Avanti !, puis à L'Ordine Nuovoet même au Lavoratorede Trieste. Arrêté en 1928, il l'ut amnistié en 1932 et se réfugia en Russie. Il mourut au cours d'une mission en 1941. Il a évoqué sa collaboration avec Gramsci dans « Con Gramsci sotto la Mole », in Gramsci,Paris, 1938, pp. 61-98.

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